On se moque souvent, chez les féministes, de la figure du prince qui arrive sur un cheval blanc pour délivrer la gente demoiselle.
Et pourtant on est nombreux·ses à l’attendre quand même, ce sauveur, d’une certaine façon.
Pas forcément dans le domaine amoureux, certes.
Mais en matière de création artistique et de projets personnels, je connais beaucoup de personnes qui attendent, attendent, attendent…
comme s’iels pensaient confusément qu’il fallait qu’on vienne les chercher pour avoir le droit d’exprimer leurs désirs et leurs talents.
C’est souvent le cas pour les gens qui veulent écrire un livre : 80 % de ceux et celles qui voudraient terminer un manuscrit ne l’ont pas fait.
Le désir est la, mais les actes ne suivent pas.
Si c’est votre cas, j’ai une bonne et une mauvaise nouvelle à vous annoncer : personne ne viendra vous sauver.
Pour écrire un livre, personne ne viendra vous chercher
En matière artistique, vos qualités personnelles ne suffiront pas. Vous pouvez bien peindre les plus belles toiles du monde ou écrire des poèmes absolument poignants, si vous ne vous bougez pas un minimum pour les montrer, si vous ne prenez pas le risque de vous exposer : rien ne se passera.
On souffre de cette vision excessivement romantique de l’artiste qui rencontre le succès presque malgré lui, comme ça, au détour d’une conversation dans le train, parce que son talent est si immense qu’il ne peut échapper à son destin. J’accorde volontairement au masculin, cet imaginaire étant exclusivement réservé à des hommes.
Cet imaginaire, ou devrais-je dire ce mensonge : les artistes ne rencontrent pas le succès malgré elleux. C’est un gros mytho, qui ne sert qu’à défendre l’ordre établi.
Quand on crée, on est obligé·e d’aller à la rencontre du monde, d’être perçu·e comme une emmerdeuse, de se prendre un (ou douze) rateaux… et d’y retourner.
Car non seulement on est obligé·e de se lancer sans autorisation préalable mais en plus, il est presque toujours nécessaire de demander de l’aide, de gratter à la porte, de revenir à la charge.
Parfois même on n’a d’autre choix que de se montrer un peu rageuse, il y a des gens qui ne comprennent que ça.
Alors je sais, c’est souvent mal vu d’affirmer ses ambitions, en particulier dans le domaine artistique, en particulier pour les personnes minorisées. Tout de suite, on a peur de passer pour la grosse reloue de service, l’idiot·e qui se méprend sur ses capacités, ou l’ambitieux·se sans scrupules.
On ne va pas se mentir : certaines personnes vous percevront de cette façon et vous le feront sentir. Big up à l’éditeur qui m’a longuement reçue dans son grand bureau pour finir par me dire que j’écrivais visiblement “sur le mode du caprice”.
Mais tant pis. Si vous ne prenez pas le risque d’être étiquetée comme une personne chiante ou arrogante, vous l’échangez contre un autre, qui me semble bien pire : vivre une vie ternie par votre lâche renoncement à ce qui, en vous, étincelle et frémit.
Si quelque chose vous tient à cœur, arrêtez d’attendre que quelqu’un·e vous donne l’autorisation de vous jeter à l’eau. Vous risquez de mourir avant que ça arrive – et j’entends cette phrase de façon absolument littérale.
Mon expérience avec mon premier roman
Je sais de quoi je parle. Moi aussi, j’aurais aimé qu’on vienne me chercher pour publier tout ce que j’ai écrit et qu’on me file, au passage, un ou deux prix Goncourt, tout en tressant des lauriers dorés à mon incroyable génie littéraire.
Bon. Raté.
Quand j’ai écrit mon premier roman, j’étais absolument et totalement inconnue au bataillon. J’ai donc fait comme tout le monde : j’ai envoyé mon manuscrit a plein de maisons d’édition… et elles ont presque toutes dit non.
Je sais que c’est cucul comme exemple, mais quand vous avez passé deux ans de votre vie sur un roman et que vous recevez votre quinzième lettre-type de refus (tout en ayant payé un bras pour les impressions et les envois), je vous assure que ça vous laisse au fond de la gorge comme une légère envie de chialer.
Mais il n’y a pas d’autre choix que d’en passer par là.
Et de le retravailler.
Et de le réenvoyer.
L’échec n’est pas agréable, mais nécessaire
Attention. Mon discours n’est pas ce truc américain consistant à célébrer l’échec, sur le mode : se planter gravement prépare inévitablement de futurs succès. Je suis en désaccord profond avec cette idée simpliste et faussement optimiste.
C’est pas vrai que c’est super d’échouer.
L’échec épuise. Ça abîme la confiance en soi et le compte en banque.
D’ailleurs, les mecs qui prêchent les vertus de l’échec sont souvent des gens dont Papa a gentiment financé les trois premiers projets de start-up. Forcément, dans ces conditions, l’échec on le voit autrement.
En ce qui me concerne, la réussite me donne infiniment plus de grain à moudre que l’échec. Je suis mille fois plus motivée, bien davantage mise en mouvement par un contrat d’édition que par une lettre de refus. Et je crois que c’est le cas de la majorité des gens.
Donc non, l’échec ce n’est pas toujours super formateur et merveilleusement intéressant. Ce n’est pas du tout ce que je défends.
Ce n’est pas vrai qu’il faut se lancer dans tout et n’importe quoi et puis tant pis.
Il faut garder ses munitions, préserver son énergie. On doit absolument faire preuve de stratégie.
Ce que je dis, c’est tout simplement : personne ne viendra vous chercher, personne ne définira la bonne stratégie a votre place, personne ne saura mieux que vous a quel moment vous lancer et dans quelle direction vous avancer. Personne.
Le monde ne fonctionne tout simplement pas comme ça.
Rimbaud a galéré pour être publié
Arthur Rimbaud par exemple, le jeune poète qu’on imagine traînassant sur les routes de France et de Navarre, tout occupé à vivre d’eau fraîche et de sentiments immenses, griffonnant des poèmes comme ça lui venait…
eh bien, Rimbaud s’est démené pour être publié. Il a supplié son prof de le publier, il a envoyé ses textes à plein de gens, il a demandé à être présenté à ceux qui savaient comment, il a été carrément insistant.
Si Rimbaud lui-même a dû se bouger, si Rimbaud lui-même a dû insister, si Rimbaud lui-même a galéré… je pense que vous pouvez accepter que vous aussi, vous devez arrêter d’attendre qu’on vienne vous chercher.
Vous voulez écrire un livre ?
N’attendez pas qu’on vous dise que vous êtes un·e écrivain·e.
Vous pouvez par exemple utiliser l’opportunité du Nanowrimo pour avancer dans votre projet de livre, ou bien vous mettre au clair sur les toutes premières étapes de l’écriture d’un manuscrit.